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Le blog des JSR à Paris
10 mars 2009

L'esclavage est dans nos rues

     Une personne  vendue pour quelques euros, une autre transportée de force à plusieurs milliers de kilomètres de chez elle, une autre torturée et soumis à une activité avilissante. La France du 21ème siècle a appris à s’indigner de l’esclavagisme, de la torture et du trafic d’êtres humains. Pourquoi alors tant de silence sur des crimes qui touchent aujourd’hui des dizaines de milliers de femmes chaque année ? Pourquoi la révolte et la colère se font-elles moins entendre quand on parle de prostitution ?

     Sur les boulevards extérieurs se tiennent des jeunes et très jeunes femmes en tenue plus que légère. Il paraît que les filles de l’Est sont particulièrement excitantes. Il paraît que les filles asiatiques sont tout à fait dociles. Il paraît que les filles noires ont la peau douce. On croirait presqu’entendre une chanson exotique. Parce que le sexe et la prostitution s’entourent depuis longtemps d’un voile tissé de tabou et de fascination, on en oublie l’essentiel : le trafic de femmes en vue de leur prostitution est un esclavagisme. Les viols, violences, séquestrations et soumission forcée à la drogue dont elles sont victimes sont une torture. Il est du devoir de tout républicain de ne pas fermer les yeux. Nous nous indignons, à juste titre, de la discrimination. Nous condamnons sans détour l’exploitation des travailleurs français et étrangers. La traite et la prostitution forcée des femmes sont des crimes qui doivent nous mobiliser tout autant.

     Peu d'associationsluttent contre ces crimes, et avec peu de moyens. Les pouvoirs publics se désintéressent quant à eux complètement de la situation. La loi contre le racolage passif a criminalisé des filles affolées, les éloignant encore un peu plus des regards et des soutiens éventuels de passants ou des associations, et les rendant plus vulnérables encore aux violences des clients, des macs, et des policiers (plusieurs affaires de viols de prostituées sans papiers par la police ont été recensées. Pour un aperçu, c'est ici et . Un policier affirmant même que "c'était comme le fait d'avoir des sandwiches à tarif réduit".

     Peut-être que le caractère particulièrement lucratif de ce commerce incite d’ailleurs à l’indulgence. Selon l'OCRTEH (Office central pour la répression de la traite des êtres humains), les rentrées annuelles de la prostitution pourraient se situer, pour la France, entre 2 et 3 milliards d'euros, dont 70 % reviendraient aux proxénètes. Toujours d'après l'OCRTEH, chaque prostituée serait censée rapporter dans ces réseaux entre 300 et 800 euros par jour à son proxénète et environ 50 euros seulement lui seraient laissés pour ses besoins personnels. Un réseau pouvant contrôler une douzaine de femmes, un proxénète pourrait gagner jusqu'à près de 9 000 euros par jour...

     Les débats sur les moyens de lutter contre ce trafic de femmes sont nombreux. Doit-on interdire la prostitution ? Doit-on responsabiliser les clients en les rendants susceptibles d’une condamnation ? Doit-on au contraire légaliser la prostitution et rouvrir les maisons closes, comme en Hollande ? Ces débats ouvrent des questionnements sur la nature même de la prostitution. Ce n’est pas ici l’objet du débat. Mais face aux violences et aux humiliations dont sont victimes les femmes prostituées dans le monde, il nous semble inapproprié d’énoncer que la prostitution peut être un choix pour justifier certaines politiques publiques. On peut bien sûr considérer que certaines personnes aiment à avoir des relations sexuelles, puis être payées par leur partenaire, mais cela relève plus du choix d’une sexualité que du choix d’une profession. Sur les difficultés des prostituées en Hollande (pays qui n’est pas exempt de trafics et de violences envers les prostituées), je vous renvoie d’ailleurs à un article de Libération,

     Pour lutter contre la prostitution, et surtout contre le trafic des femmes, certaines solutions peuvent d’ors et déjà être mises en œuvre :

-         Permettre aux associations de rentrer en contact avec les prostituées. Pour cela, il ne faut pas criminaliser des personnes en situation d’extrême faiblesse, mais au contraire leur permettre d’être plus visibles. Ces associations peuvent alors protéger les filles et les accompagner dans leur sortie de prostitution (cure de désintoxication, accompagnement financier et psychologique).

-         Permettre aux femmes qui se présentent dans les associations ou dans les commissariats de police, et qui prennent le risque de porter plainte contre leur réseau de prostitution, d’obtenir une carte de séjour, essentielle à leur protection.

-         Criminaliser les trafiquants plutôt que les prostituées. Les « protecteurs » de filles et membres des réseaux de prostitution peuvent être identifiés : ils doivent être systématiquement appréhendés et lourdement sanctionnés.

-         L’Union Européenne a bien sûr dans cette affaire un rôle important, qu’elle ne joue pas encore assez. Pour être efficaces, les pays européens doivent utiliser les mêmes armes. Une reflexion sur l’harmonisation de l’action pénale pour lutter contre le trafic de femmes doit être menée. Le contrôle des frontières doit être plus efficace contre les migrations contraintes des femmes destinées à la prostitution. Il doit être mis fin aux trop de négligences, voire à la complicité latente des autorités européennes et nationales avec les trafics de prostitution.

     Il est temps d’en finir avec l’esclavagisme dont sont victimes ces femmes. On ne doit plus avoir le sentiment que le problème n’est que secondaire, avec cet implicite presqu’amusé : ces femmes sont des prostituées. Si un policier peut affirmer sans honte d’une prostituée violée que "c'était comme le fait d'avoir des sandwiches à tarif réduit", c’est que les crimes dont sont victimes ces femmes sont minimisés du fait de leur condition. C’est à nous de rappeler, au nom des Droits de la Femme, au nom des Droits de l’Homme, que l’esclavagisme et la torture sont des crimes abominables. Point.

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