Le pouvoir d'indécision
Le pouvoir d’indécision est un récit qui utilise une méthodologie historique pour retracer le cheminement de la mise en politique des déchets nucléaires. D’emblée, son auteur introduit son sujet avec la perspective suivante : « Les déchets nucléaires ne sont pas seulement des matières dangereuses dont il faudrait se protéger pour des milliers d’années. Ce sont des problèmes politiques. […] Comment un dossier jugé purement technique peut-il soudain se voir reconnaître le statut de véritable problème de société appelant une solution d’ordre politique. »
Yannick Barthe envisage son sujet comme « un fait » dont la réalité est incontournable, et il invite le lecteur à s’interroger sur ce qui a longtemps été considéré comme une « fatalité technologique » en l’occurrence les déchets issus de l’industrie nucléaire. Toute la première partie de son ouvrage intitulé « Irréversibilisation »
traite du cheminement par lequel s’est ancré cette idée de
l’impossibilité de revenir en arrière, et qui, conséquence inattendue a
permis l’éclosion de ce retour des possibles, de la « réversibilisation ».
Tout au long du récit, le chercheur nous donne des
clefs pour comprendre les enjeux de pouvoirs et d’affirmation de
l’Homme politique sur le scientifique. Pour ce faire, l’auteur se livre
à une véritable enquête en nous rapportant des extraits des débats qui
ont pu avoir lieu sur le sujet durant la seconde moitié du XXème siècle
tant au parlement, que dans les journaux en passant par les comités
locaux d’informations. Il nous relate également les arguments du noyau
dur des inconvertibles à cette technologie. Il nous fait revire
l’histoire des mentalités non seulement des chercheurs, des politiques,
des lobbyistes mais également celle des populations et de l’opinion
publique concernées de facto par le sujet. L’analyse livrée des
mécanismes de la « technostructure » est extrêmement intéressante car
elle met en lumière la complexité des rapports de forces entre
gouvernants, scientifiques, et gouvernés. A aucun moment, le politique
ne doit donner l’image qu’il est aux ordres des scientifiques alors
même que ses décisions dépendent des conclusions livrées par ces
derniers. S’ajoute à ce duumvirat un acteur supplémentaire, le
peuple, qui tient à avoir un pouvoir de décision sur lequel voudrait
s’appuyer le politique pour s’en remettre à « la sagesse populaire » et faire face, au moins en apparence « aux propriétaires » du problème.
Yannick Barthe, Le pouvoir d’indécision. La mise en politique des déchets nucléaires, Ed. Economica, collection « Etudes politiques », 2006, 239 p.