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Le blog des JSR à Paris
7 février 2009

La crise de l'université française

     Le monde de l'enseignement supérieur et de la recherche est en ébullition. Les provocations incessantes de Nicolas Sarkozy ont poussé à bout une communauté d'habitude rétive à manifester son mécontentement et encline à encaisser les coups en silence.

     Ce qui est en jeu aujourd'hui, ce n'est pas seulement le statut des enseignants-chercheurs, leurs salaires... c'est la place l'université, du savoir dans notre démocratie républicaine.
     Pour mieux comprendre les enjeux de ce combat contre une droite idéologue qui cherche encore à museler un contre-pouvoir en avilissant la recherche publique, nous vous proposons cette note rédigée l'année dernière par un camarade parisien :


Où va la recherche aujourd’hui ?

    Le 28 janvier 2008, à l’occasion de la célébration du Prix Nobel de Physique 2007 Albert Fert à l’université de Paris-Sud, Nicolas Sarkozy a donné le coup d’envoi de la réforme de la recherche publique française. Tout comme la loi relative aux Libertés et Responsabilités des Université (LRU) du 10 août 2007 1, cette réforme est menée par la ministre de la Recherche et de l’Enseignement Supérieur Valérie Pécresse.

     Au-delà de la question des moyens consacrés à la recherche (même si le graphique ci-dessous publié lors de la campagne présidentielle de 2007 dans la revue américaine Nature est assez illustratif…), se joue l’autonomie de la recherche contre les velléités d’un pilotage politique toujours plus présent.

recherche

     La question qu’il convient de se poser est la suivante : quelle mission pour un service public de la recherche aujourd’hui ?

     Il existe un secteur privé de la recherche en France, que l’on nomme usuellement R&D pour Recherche et Développement. Sa mission est de mettre en application les progrès des connaissances pour en faire des progrès techniques marchandisables. Son cœur de métier est donc l’innovation, au sein de ce que l’on a coutume d’appeler aujourd’hui l’économie de la connaissance.

     De son côté, la recherche publique, issue des universités et des organismes de recherche tels que le CNRS (Centre National de la Recherche Scientifique) ou l’INSERM (Institut National de la Santé Et de la Recherche Médicale), vise à créer des connaissances dans tous les domaines, pour les faire partager au plus grand nombre. En ce sens, elle crée des biens publics et non marchands, du savoir, et est un rouage essentiel d’une société de la connaissance.

     Cette dichotomie est évidemment simplificatrice ; les passerelles existent entre les secteurs publics et privés et méritent même d’être renforcés dans de nombreux domaines. Cependant elle permet de montrer que les missions essentielles de la R&D et de la recherche publique sont différentes, ce qui réclame des structures elles aussi différentes.

    Cette société de la connaissance s’est développée grâce à l’autonomie d’une recherche gérée par les pairs, rattachée mais non subordonnée à la sphère politique. Cela a été rendu possible par un financement sur le long terme des recherches, permettant la prise de risque, le droit à l’erreur pour mieux avancer. A la maxime sarkozyste « Inutile de réinventer le fil à couper le beurre… Ce que je veux c’est que les choses marchent »1, on a toujours préféré le proverbe japonais « L’échec est mère du progrès ». La puissance publique a laissé aux chercheurs le soin de décider de manière collégiale de l’affectation des fonds qui leur sont attribués, jugeant qu’ils sont les mieux placés pour sentir l’évolution des savoirs.

    Aujourd’hui, à la suite de la création de l’Agence Nationale de la Recherche (ANR) en février 2005, le financement se précarise, prenant la forme de contrats à court terme qui se superposent. La prochaine étape semble la généralisation de la précarisation des emplois, avec la création de postes de quatre ans renouvelables (décision 30 du rapport Attali). Ce nouveau mode de fonctionnement est sensé créer selon Nicolas Sarkozy « un esprit de loyale et fructueuse compétition », à l’opposé de la coopération qui a toujours caractérisé l’état d’esprit de la communauté scientifique. Transformés en fundraisers perpétuels, les chercheurs sont aussi de plus en plus soumis à évaluation. Celle-ci est positive, si elle est pensée selon des critères scientifiques et non comptables, si elle vise à améliorer le service rendu et non à traquer les supposés fainéants gaspilleurs de deniers publics. Les évaluations sont devenues une traque aux chercheurs « non rentables », ceux qui ne produiront pas le point de croissance que Nicolas Sarkozy a promis d’aller chercher avec les dents... De plus, ce pilotage politique de la recherche ne pourra fonctionner dans la durée car comme disait Lavoisier « Les découvertes ne se commandent pas » ; il est déjà ardu pour les scientifiques de prévoir les progrès du monde de demain, cela devient mission impossible pour des politiques isolés. En voulant prendre la main sur la destinée de la recherche pour mieux l’orienter sur les secteurs innovants, le politique assèchera rapidement le vivier de connaissances, terreau des futures innovations créatrices de nouveaux biens privés.

     Nous voici revenus au problème initial : ce glissement de la recherche à l’innovation fait-il partie de la mission de service public de la recherche ? Ne devons-nous pas nous concentrer sur la production et la transmission de savoir, devoir universel et citoyen, en un sens moderne, au-delà d’un devoir de retour sur investissement2 ?

     La recherche publique n’est donc pas qu’un outil au service du politique pour créer de nouvelles richesses à travers l’innovation, ce qui est précisément le rôle de la recherche privée. Elle doit savoir se placer au cœur de la société.

     Au côté de l’économie, elle doit par un partenariat intelligent avec les entreprises aider à la valorisation des connaissances qu’elle a engendrées de manière autonome.

     Au côté du social, elle doit participer à la diffusion des connaissances dans tous les domaines et dans toutes les sphères de la société.

     Au côté de l’environnement, elle doit se développer dans le respect du principe de précaution.

     Ni autisme d’une caste qui se penserait élite et qui vivrait coupée du monde, seule à pouvoir juger de la qualité de ses travaux, ni subordination à un pouvoir politique qui ne possède pas tous les éléments d’analyse pour permettre son épanouissement.


Notes:

1) Cf. l’article de l’encyclopédie en ligne Wikipédia: http://fr.wikipedia.org/wiki/Loi_relative_aux_libert%C3%A9s_et_responsabilit%C3%A9s_des_universit%C3%A9s

2) http://www.optimum-blog.net/post/2007/07/01/Quand-jentends-le-mot-economie-je-sors-mon-revolver

3) Voir le témoignage de Wendelin Werner, médaille Fields 2006 : http://www.mediapart.fr/club/blog/wendelin-werner/280308/la-recherche-en-quete-d-efficacite


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